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La FFF et la polémique du ramadan : entre critiques, justifications et comparaisons internationales

La Fédération Française de Football (FFF) se trouve au cœur d’une polémique suite à sa décision d’interdire les interruptions de match pour permettre aux joueurs musulmans de rompre le jeûne du ramadan. Cette décision, qui contraste avec les pratiques adoptées dans d’autres championnats européens, a suscité de vives réactions et débats.

Le point de départ de la controverse remonte au 30 mars, lorsque la FFF a envoyé un mail à tous les arbitres officiels pour leur rappeler l’interdiction d’interrompre les rencontres pour rompre le jeûne du ramadan. La FFF a justifié cette décision en arguant que ces interruptions ne respectent pas les dispositions des Statuts de la FFF et les principes de laïcité et de neutralité du football en France.

C’est Mehdi Bahria, arbitre amateur dans l’Essonne, qui a relayé dès jeudi soir l’information et le mail qu’il a reçu sur les réseaux sociaux. Ce dernier ne comprend pas cette décision et a partagé aux journalistes du Parisien sa vision des choses : « On ne fait pas de débat religieux sur la pelouse. On interrompt trente secondes la rencontre, juste le temps de boire un peu d’eau et de manger très rapidement. Et ça ne dérange personne ». L’arbitre ne comprend pas cette intervention et rajoute : « Ils auraient pu s’abstenir et nous laisser chacun gérer ça ».

Des critiques venant de nombreux acteurs du monde du football et du journalisme.

Des joueurs comme Lucas Digne, latéral gauche d’Aston Villa et international français, ont également exprimé leur désaccord avec la position de la FFF. Sur Instagram, Digne a déclaré : « 2023 on peut arrêter un match 20 minutes pour des décisions mais pas 1 minute pour boire de l’eau », manifestant ainsi son désarroi face à la situation.

Mohamed Bouhafsi, ancien journaliste sportif a sévèrement critiqué cette communication de la FFF : « Alors que l’Angleterre et l’Allemagne l’acceptent, la FFF se ridiculise. Des terrains professionnels aux terrains amateurs c’est une décision grotesque. La laïcité ne veut pas dire rejeter la bienveillance, le partage. En quoi, est ce différent qu’arrêter le match 1 minute pour une pause fraîcheur ? Au lieu de fédérer dans des temps troubles que l’on vit ce mail vient encore décevoir des membres de notre société pour une gorgée d’eau. Ridicule, agressif, déraisonnable. PS : il y a d’autres sujets à gérer avant : type, le racisme dans le football, la sécurité des arbitres ou encore le soutien des clubs amateurs. »

L’entraîneur de l’OGC Nice, Didier Digard, est plus nuancé dans ses propos, il comprend la situation actuelle mais il souhaiterait quand même qu’elle évolue : « Je n’ai pas de position sur ces choses-là, c’est toujours compliqué, a-t-il répondu. On est dans un pays laïc, pas dans un pays musulman. Ce sont toujours des sujets délicats. On connaît l’Angleterre, il faut l’avouer, ils sont plus ouverts que nous sur le sujet et ça a toujours été comme ça. Ce serait bien que la France le fasse, mais ça ne pose de soucis à personne qu’on ne le fasse pas car on n’est pas dans un pays musulman. Il faut accepter le pays où l’on vit. »

Le journaliste Régis Dupont, du quotidien L’Équipe, critique la Fédération française, affirmant qu’elle est en décalage avec son époque. Dans une lettre ouverte publiée par le journal, il questionne : « Pensez-vous que des centaines de milliers de musulmans pratiquant à la fois leur religion et le foot en club sollicitent cette brève coupure pour saper les fondements de la République ? »

Le 2 avril, lors du match de clôture de la 29e journée de Ligue 1 entre le PSG et l’OL, le Collectif Ultras Paris a brandi une banderole à destination de la FFF avec le message : « Une datte, un verre d’eau, le cauchemar de la FFF ». Cette manifestation des ultras parisiens souligne l’ampleur du mécontentement face à la décision de la FFF.

La FFF réagit à la polémique et assume sa position

Face à la polémique, Éric Borghini, président de la Commission Fédérale des arbitres (CFA) de la FFF et auteur du courrier adressé aux arbitres, a réagi auprès de L’Équipe. Il a expliqué que les joueurs ont la possibilité de s’hydrater lors des remplacements ou des soins que reçoivent les partenaires, et que les considérations sur le respect de l’article 1ᵉʳ des statuts de la FFF s’appliquent à tous les licenciés, y compris au monde professionnel.

Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité n’est pourtant pas de cette avis. Dans un entretien accordé au journal La Croix, il insiste sur le fait que l’article 1 des statuts de la FFF ne stipule pas de « respect strict du principe de laïcité dans le football ». En tant qu’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, il avait accompagné la fédération dans sa démarche de révision de ses statuts.

À cette occasion, il a été rappelé à la FFF que la laïcité n’avait d’impact que sur ses employés. En vertu du principe de séparation établi par la loi du 9 décembre 1905, la laïcité impose la neutralité à ceux qui représentent l’administration publique. C’est donc le cas des personnels de la fédération, qui se voient confier une mission de service public. Cependant, cela ne concerne pas les joueuses et joueurs qui, en tant qu’usagers, bénéficient de la garantie de leur liberté de conscience grâce à la laïcité.

La FFF s’était déjà faite remarquer pour sa demande faite aux joueurs sélectionnés pour les matchs éliminatoires de l’Euro 2024 de ne pas jeûner le début du Ramadan jusqu’à jouer le match France/Irlande et donc de reporter ces jours de jeûne à plus tard.

Des pratiques différentes selon les pays

En comparaison, en Angleterre et en Allemagne, les fédérations respectives ont décidé d’accorder cette faveur aux joueurs, permettant ainsi une interruption de quelques minutes pour permettre aux sportifs concernés de rompre leur jeûne. Le club de Chelsea va même plus loin en organisant un repas d’Iftar au sein même du stade de Stamford Bridge de Londres. L’appel à la prière indiquant le moment de la rupture a retentit dans le stade comme un hymne au rapprochement entre les différentes communautés qui composent les supporters du club.

Dans les championnats italien et espagnol, aucune mesure spécifique n’a été mise en place pour, ou contre cette interruption de match pour permettre la rupture des joueurs musulmans. Le sujet n’a donc pas suscité de débat. Le joueur marocain Sofyan Amrabat de la Fiorentina a saisi l’opportunité de l’intervention des soigneurs sur le terrain pour se nourrir le samedi 1er avril.

L’avis de la rédaction

Cette polémique soulève des questions sur la gestion de la diversité religieuse, en France, d’une manière générale et plus particulièrement dans le sport. Il n’y a eu à notre connaissance aucune revendication de la part d’associations, de collectifs ou de personnalités musulmanes en ce qui concerne l’interruption de jeu pour rompre le jeûne. Cette option aurait dû être laissée à l’appréciation des arbitres dont la mission est également de veiller à l’intégrité physique des joueurs lors d’un match. A ce titre, les pauses fraicheurs en cas de fortes chaleurs sont désormais monnaie courante y compris lors des matchs professionnels. En voulant imposer une règle et en menaçant de sanctions les arbitres qui ne la respectent pas, c’est la FFF qui a agi maladroitement. Ne pas statuer sur ce cas particulier, qui ne posait de problème à personne, aurait été plus sage.

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