Absentéisme des élèves musulmans en fin de Ramadan, quand la police s’en mêle !
Le Ramadan 2023 est maintenant bien loin pour les un souvenir pour les musulmans qui ont jeûner durant ce mois, il vient pourtant, en France, se rappelait à eux dans une énième polémique très franco-française. Ainsi, des policiers du service de renseignement territoriaux de la ville de Toulouse ont demandé aux établissements scolaires de fournir des statistiques sur l’absentéisme des élèves durant le Ramadan et plus particulièrement pour l’Aîd El Fitr, la fête marquant la fin du Ramadan.
Chronologie des faits
C’est avec un email partagé sur Twitter par le CICE (Comité Contre l’Islamophobie en Europe) que l’information est mise en lumière. Suite à cette publication, des témoignages et des informations sont révélées. Selon les différents rapports, une centaine d’établissements scolaires de Toulouse et des environs ont reçu un courriel, le 26 avril, demandant le taux d’élèves absents lors de la fête de l’Aïd.
Cette initiative du Service central du renseignement territorial (SCRT), qualifiée de « maladresse » par une source proche du dossier au ministère de l’Intérieur, a été entreprise sans l’aval du rectorat. Mostafa Fourar, le recteur de l’académie de Toulouse, a fermement nié toute implication de l’Éducation nationale dans cette affaire. « Si quelqu’un a pris cette initiative, l’Éducation nationale n’y est absolument pas associée », a-t-il affirmé. Le rectorat de l’académie de Toulouse a réagit dès qu’il a eu connaissance de cet email, il a rapidement déconseillé aux chefs d’établissements et directeurs d’écoles de répondre à cette demande. Par la suite, la Dépêche du Midi a rapporté que des demandes similaires ont été faites début mai dans l’Hérault.
Au début de l’affaire, le ministère de l’intérieur est resté silencieux et n’a pas affiché de lien avec cette affaire. Cependant, dans un revirement troublant, RTL a démontré que la demande d’informations sur l’absentéisme pendant le Ramadan provenait bel et bien d’une requête nationale du Service central du renseignement territorial (SCRT), organe dépendant du ministère de l’Intérieur. Le courrier envoyé à des centaines d’établissements scolaires leur demandait de fournir le « pourcentage d’absentéisme » des élèves le jour de l’Aïd, et a été diffusé à de nombreuse antennes départementales du renseignement territorial le 25 avril. Il semble que plusieurs départements aient choisi de ne pas donner suite à la demande, malgré l’insistance du SCRT, .
Le gouvernement a répondu par l’intermédiaire de Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur chargée de la citoyenneté, en admettant finalement qu’une « évaluation du taux d’absentéisme lors de la fête de l’Aïd » a été demandée aux chefs d’établissement dans certaines académies. Elle a cependant insisté sur le fait qu’il ne s’agissait en aucun cas de fichage des élèves en fonction de leur religion, et ajoute qu’aucune donnée nominative n’a été « ni demandée ni recensée ». La secrétaire d’état a tenté de dédramatiser cette demande en expliquant que le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer examine régulièrement l’impact de certaines fêtes religieuses sur le fonctionnement des services publics, y compris l’éducation.
Pour rappel, et selon la loi du 15 mars 2004 sur la laïcité à l’école, il est tout à fait permis pour les élèves de s’absenter pour les célébrations importantes de leurs religions. « Des autorisations d’absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées chaque année par une instruction » rappelle le guide « La Laïcité à l’école » de l’Éducation nationale.
Des réactions vives et indignées face à ces demandes d’évaluations
Cette demande, a tout de suite fait naître un sentiment de stigmatisation des élèves de confessions musulmanes, et a été assimilé à une forme de « fichage religieux ». De nombreuses personnalités, des syndicats et des associations de défenses des droits de l’homme ont été indigné par une telle demande.
Dans des propos recueillis par France 3, la Fédération Syndicale Unitaire (FSU), par exemple, s’est montrée particulièrement préoccupée par cette demande, indiquant qu’elle vérifie si cette action est le fruit d’une directive nationale ou d’une initiative locale. Pour Marie-Cécile Perillat, co-secrétaire générale du syndicat départemental de la FSU, cette enquête est très préoccupante : « Beaucoup de collègues se sont émus de cette enquête. C’est très inquiétant que les renseignements territoriaux assimilent une pratique religieuse, une fête musulmane très populaire, à une question de sécurité intérieure. En quoi cela concerne les renseignements territoriaux ? » s’interroge-t-elle.
La Ligue des droits de l’homme (LDH) a également critiqué cette initiative, suggérant qu’elle porter atteinte à la liberté de conscience et à la liberté de culte des élèves. Interrogé par France 3 Occitanie, Jean-François Mignard, le président de la LDH en Haute-Garonne, a déclaré : « Ce n’est pas quelque chose que l’on demande aux personnes de confession chrétienne ou juive par exemple ». SOS Racisme et l’Union des Mosquées de France, indignées par cette pratique ont tous deux appelé à une enquête approfondie.
Cette affaire n’a pas seulement suscité l’indignation de la communauté éducative et des organisations de défense des droits de l’homme, mais aussi des politiques locaux et nationaux. Des députés et élus de Toulouse ont demandé des explications. François Piquemal, député de la 4ème circonscription de Toulouse, et Agathe Roby, conseillère municipale de Toulouse, apparentés LFI (La France Insoumise), se sont insurgés contre de telles pratiques et ont demandé des explications au Rectorat et à la ville de Toulouse.
Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse, du parti Les Républicains, s’est également exprimé sur le sujet. Sur Twitter, il s’est déclaré « choqué » et a réclamé « la plus grande clarté sur cette affaire contraire aux principes républicains ». Jean-Christophe Cambadélis, ancien député socialiste, a critiqué ce qu’il a appelé un « fichage dans l’ensemble de la ville » sur Radio J.
La gestion de la communauté musulmane en France, un sujet encore délicat.
Cette affaire a provoqué une énième polémique dans laquelle la communauté musulmane française se retrouve impliquée bien involontairement. Le ministère de l’Intérieur reconnaît une « maladresse » dans la méthode utilisée par le Service central du renseignement territorial (SCRT), et tente de relativiser en expliquant que l’évaluation des absences lors des grandes fêtes religieuses est une pratique « classique ». Cependant, l’intensité de la réaction à ces révélations suggère que cette explication n’a pas suffit à apaiser les inquiétudes de ceux qui y voient une atteinte potentielle aux droits civils et aux principes de laïcité.
Cette controverse rappelle l’incident de Béziers où Robert Ménard avait procédé au comptage des élèves de culture musulmane. Ce dernier avait déclarait sur France 2 que 64,6 % des élèves dans les écoles de Béziers étaient musulmans. Il justifiait ce pourcentage en affirmant que « les prénoms disent les confessions ». Suite à ses propos, une enquête préliminaire avait été lancée pour « tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique ». Après une perquisition infructueuse à la mairie, Robert Ménard avait été interrogé par la justice. Il avait alors déclaré effectuer un « comptage manuel » en se basant sur l’origine des prénoms, niant l’existence d’une base de données dédiée à cette fin.
Une polémique de plus qui souligne la tension existante entre le respect des croyances religieuses individuelles, la neutralité de l’état laïque et les besoins en matière de sécurité perçus par certains services de l’État. Alors que certaines voix critiquent ce qu’elles perçoivent comme un fichage discriminatoire, d’autres vont plus loin et dénoncent des « dérives islamophobes ». Le climat médiatique et politique n’est donc pas encore serein sur le traitement de la composante musulmane française.