Le réveil par les crieurs de rues : une tradition ancestrale du Ramadan qui disparait.
S’il y avait une tradition que l’on pourrait décrire et qui est commune à beaucoup de pays dans le monde musulman, c’est bien celle des chanteurs ou crieurs de rues. Ces hommes se sont données pour missions de réveiller les musulmans pour le repas du Souhour avant l’aube. Muni d’instrument de musique (un tambour dans la majorité des cas) et de leur voix, ils parcourent les rues chaque mois de Ramadan pour perpétuer cette tradition ancestrale.
Avant que ne naisse cette tradition, un « pré-appel » à la prière était donné pour réveiller les gens afin qu’ils n’oublient pas de se réveiller pour le premier repas, Bilal Ibn Rabah, l’un des premiers muezzin de l’islam a donc aussi œuvrer à réveiller les musulmans pour le repas. Mais quelques générations après, Otbah ibn Ishaq, alors gouverneur d’Egypte en 853 a commencé à marcher dans les rues du Caire avant le repas du Souhour, en faisant des appels tels que « Ô adorateur de Dieu, prenez le Souhour, car dans le Souhour se trouve une bénédiction ».
Puis pendant la période abbasside, les premiers Misaharatis (le nom que l’on rencontre le plus souvent) fredonnaient des vers de poésie pour réveiller les gens. L’accompagnement au tambour est certainement né plus tard en Egypte, Les Misaharatis parcouraient les rues du Caire portant un petit tambour accompagné d’un petit enfant tenant une lanterne dans sa main pour éclairer la route (lien vers l’article sur les lanternes).
Dans certains pays et à certaines époques, les femmes également y aller de leurs voix pour réveiller les gens. Elles s’asseyaient derrière les fenêtres en forme de moucharabiehs et chantaient pour réveiller les habitants du quartier.
Aujourd’hui, bien que les réveils électroniques et autres alarmes de téléphone servent à réveiller les gens pour débuter leur jeune, des hommes, dans de nombreux pays musulmans font perdurer cette tradition limitant ainsi sa disparition.
Au Maroc, les « Nafar », vêtu de la traditionnel gandora, de pantoufles et d’un chapeau traditionnel, marquent le début de l’aube avec leurs mélodies. Sélectionnés par les habitants de la ville pour leur honnêteté et leur empathie, le nafar parcourt la rue en soufflant dans un cor pour réveiller les gens.
A Amman, en Jordanie – Tous les jours de Ramadan, Zaid Daifallh, mieux connu sous le nom d’Abu Bakr, quitte sa maison avec seulement un tambour et un bâton à la main. À mesure qu’il tambourine plus fort, les enfants se précipitent vers lui dans les petites rues, décorées avec des guirlandes lumineuses en forme de croissants de lune, d’étoiles et de lanternes.
Comme le besoin de Misaharatis a diminué, leur rôle a évolué pour devenir une source de divertissement pour les enfants. Pour cette raison, les chants de Misaharati que l’on entend aujourd’hui sont différents des chants traditionnels qu’ils chantaient il y a 20 ans. « Je chante avec ces enfants pour les impliquer car ils veulent s’amuser », a déclaré Abu Bakr.
Toujours à Amman, d’autres Misaharatis le sont de pères en fils, comme Abu Sa’d Moghrabi, attristé de savoir que cet art se perd. Il a dans un premier temps guider son père, une lanterne à la main dans les rues avant de prendre la relève, il se sent comme une connexion spirituelle avec les rues de sa ville.
Assise sur un banc devant sa maison, Jameela Yusuf se rappelle comment elle comptait sur les battements de tambour et les chants du Misaharati pour la réveiller afin qu’elle puisse préparer le Souhour pour ses enfants. « Au bon vieux temps, il n’y avait qu’une seule famille dans tout le camp qui pouvait se permettre d’acheter un réveil de trois dinars », a déclaré la sexagénaire.
Pour beaucoup de Misaharatis la profession est devenue un mode de vie qu’ils ne peuvent abandonner aussi facilement. « Chaque année, je dis que je suis de plus en plus vieux et fatigué et que cette année pourrait être la dernière », a déclaré Abu Assad. « Mais dès le premier soir de Ramadan chaque année, je me retrouve à prendre les tambours et à quitter la maison à 2 heures du matin ».
Tradition courante au sein l’Empire Ottoman, et malgré les progrès technologiques, plus de 2 000 tambourineurs parcourent encore les rues turques, unissant la communauté locale pendant le mois saint. Les tambourineurs turques sont habillés de costumes traditionnels ottomans, comprenant un fez (chapeau) et une veste décorés de motifs traditionnels. Alors qu’ils se promènent avec leur davul (tambour à double tête turc), les tambourineurs de Ramadan comptent sur la générosité des habitants pour leur donner des pourboires ou même les inviter à partager leur repas de Souhour. Cet aumône est généralement collecté deux fois pendant le mois saint, de nombreux donateurs espèrent recevoir de la bénédiction en échange de leur bonté.
Récemment, les autorités turques ont introduit une carte d’adhésion pour les tambourineurs afin d’instaurer en eux un sentiment de fierté et d’encourager une nouvelle génération à maintenir cette tradition millénaire dans ce pays en rapide évolution.